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Pourquoi partir Marrons ? – Bibliographie
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Bibliographie / Les Marrons  / Pourquoi partir Marrons ?

Pourquoi partir Marrons ?

Arrivés à cet arbre gigantesque, sous lequel on ne pouvait craindre d’être vu, mais d’où l’on pouvait, au contraire, embrasser du regard tous les points d’alentour, ils s’arrêtèrent les uns après les autres, comme s’ils s’en étaient donné le mot, en se rangeant dessous dans une attitude d’autant plus caractéristique de leur but que l’obscurité de la nuit y prêtait sa majesté lugubre.

— Oui , dit aussitôt le Scacalave d’un ton réfléchi, et comme s’il poursuivait, au lieu de commencer une conversation ;

— Assez frères, assez d’être esclaves!…

— Assez ! Oui, assez comme ça ! répétèrent tous les autres d’une voix étouffée.

— Après tout, — reprit le même avec chaleur , — pour nous, frères, qu’est-ce que la mort ?… Pouvons-nous la craindre? Qu’avons-nous donc ici dans ce monde?

— Joie? repos? bonheur ?

— Infâmes moqueries !

— Travail dur, continuel, toujours pour le maître; coups, misère, servitude sans fin, voilà, voilà le vrai, le réel, oui voilà notre lot à nous! et, frères, sont-ce là des liens qui cramponnent à la vie? Je la maudis cette vie ! oui, je la maudis, car j’y suis- comme dans la fournaise du volcan qui pétille là dans le morne ! Aussi le sommeil, bon dieu du maître et de l’esclave, n’est plus pour moi qu’un fuyard, un vieux marron! Mais reviendrait-il encore, que je le repousserais tel qu’un mauvais envoyé! Nos maux n’ont pas à se laisser tromper. Le noir qui dort sous le joug, c’est l’animal qui dort dans la boue. C’est un damné, frères; il peut grogner , mais il ne sortira pas des griffes qui le serrent…

J’ai là encore, tourmentant ma tête, ce moment si horrible où l’on m’arrache de la grande terre, de cette terre où j’ai tout laissé! Où des trafiquants rapaces me couvrent de chaînes, et, tel qu’un ballot de coton ou de sucre, me jettent et m’arriment dans la cale d’un navire! Ah! comment donc, à la vue de ces odieux commencements de ma dégradation, ai-je pu comprimer, retenir les élans de ma révolte? Comment, pour leur ravir au moins la rançon de mon esclavage, ne me suis-je pas tué, en m’étranglant sous les yeux mêmes de ces contrebandiers barbares ?

Mais manière!. Oui ma mère!. La voyant enchaînée près de moi, sa vue m’a étourdi, m’a désarmé!… Force ou faiblesse, n’importe, j’ai pensé qu’il fallait vivre, sinon pour moi, du moins pour elle… J’ai pensé qu’avec le temps d’ailleurs je pourrais peut-être, à force d’habitude et de combats, limer ou briser ma nature, étouffer les cris de ma conscience, oublier l’indépendance, le pays, la fa-mille, enfin nie résigner, me soumettre à mon sort d’esclave!… Hélas! à quoi m’ont servi cette épreuve et cette longanimité du joug?… J’ai vu ma mère tomber ensanglante sous le fouet du commandeur… Je l’ai vue tuée, morte! Et je n’ai pu la secourir, la venger!… Ah! frères, on n’est pas seulement le boeuf qui traîne la charrette…

Malgré tout, il vous reste encore, quoique esclave, un sentiment, un instinct d’homme… Et cet instinct s’est réveillé chez moi avec un redoublement de cris que je ne puis rendre, mais que chaque coup de la lutte n’a fait qu’augmenter… Et voilà qu’au lieu de m’être assoupli , dompté, je suis devenu un véritable caïman! Mon coeur s’est repu de tant d’aversion pour l’esclavage, et de tant de haine contre la race des maîtres, que maintenant j’en regorge au point, frères, d’être capable même de me venger lâchement!…