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Approche critique du roman d’Eugène Dayot, « Bourbon Pittoresque » – Bibliographie
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Approche critique du roman d’Eugène Dayot, « Bourbon Pittoresque »

Célébrer la mémoire de François Mussard

L’auteur est le fils de Benoît Joachim Dayot, traitant commercial et négrier, nommé « agent du gouvernement français » au port de Tamatave, auprès de qui il séjourne de 1828 à 1830. Vivant au cœur de cette société réunionnaise encore esclavagiste, il ne déroge pas à la vision commune du maronage. Sur la trame historique des « exploits » des chasseurs de Noirs, (25 novembre 1718 – 25 août 1784), l’auteur campe des personnages connus, dont le célèbre François Mussard, qu’il veut particulièrement célébrer.

Dans « La Chapelle expiatoire » qui précède le texte romanesque dans la reédition de 1966, il expose son projet d’écriture et situe clairement l’action : « C’était à l’époque difficile où la colonie naissait à peine et ne pouvait recueillir tous les fruits de ces travaux. Elle subissait bien des privations, bien des misères, à cette époque pénible et dangereuse où, incessamment tourmentée par un brigandage audacieux et puissant, le colon marchait la hache de défrichement d’une main et la carabine de l’autre. Nature ardente et sauvage, esprit entreprenant et aventureux […] Mussard commença cette chasse sanglante des nègres marrons qui avaient établi leur camp dans l’intérieur de l’île et qui, descendant en troupes nombreuses, venaient désoler par le pillage, le meurtre et l’incendie, les habitations naissantes des Blancs. Il passa plus de vingt ans de sa vie à poursuivre ses loups avides jusque dans leur repaire ; les traqua jusqu’au fond des abîmes ; les fit reculer jusqu’aux sommets les plus élevés, et ne déposa les armes que lorsqu’il eut purgé tout le pays de ces bandits redoutables » [p.21].

Il termine d’ailleurs son explication par une phrase explicite : « Nous tâcherons de payer cette dette à sa mémoire (François Mussard) trop longtemps oubliée ».

Les portraits des chasseurs de Noirs sont donc largement tributaires des rapports de détachement dont nous disposons encore aujourd’hui : les Mussard, Touchard, Caron, Robert, Lebreton, Fontaine et les autres. Mais Dayot n’a pas repris les noms réels des grands chefs adversaires effectifs de ces mêmes chasseurs qui sont consignés dans les mêmes rapports de détachements.

Dédouaner les Blancs des horreurs
de la répression du maronage

En face des chasseurs de Noirs leurs adversaires les marons, à la fois bêtes féroces à abattre et adversaires à leur hauteur, évoluent dans le cadre fantasmé des hauts de l’île de La Réunion.

Autant les portraits des chasseurs de Noirs sont proches de la réalité, autant ceux des marons et surtout de leurs chefs posent problème. Il a inventé de nouveaux personnages romanesques, comme le Sakalava Samson dont le magnifique portrait ressemble plus à celui d’un vrai traitant négrier arabo-musulman que l’auteur aurait pu rencontrer à Tamatave qu’à un authentique chef maron à Bourbon, souvent un farouche mutilé luttant pour sa survie et celle de son groupe dans l’âpre climat des Hauts. Les « méchants » obéissent à un stéréotype : Diampare est une bête d’une « férocité brutale[…] sans foi ni loi », Bâlle n’a rien à lui envier : « féroce et belliqueux ».

Mais curieusement, à côté de ces personnages de composition, stéréotypés, Dayot a aussi repris des noms consacrés par la tradition réunionnaise, des noms anciens comme Cimendef, Anchain et autre Pitre. Entre légende et réalité des lieux qui les ancrent dans le paysage, ces héros peuplent l’ancien espace maron des cirques de facto et ils présentent des marons sympathiques, inoffensifs, qui n’ont rien à voir avec les chefs plus contemporains, historiques tels que Laverdure, Manzak, Simitave ou Sarcemate par exemple. Ces derniers se sont réellement battus avec hargne et acharnement luttant pour leur territoire dans une vraie guerre inégale pour les deux parties et surtout c’est connu de tous.

Pour Anchain et Pitre, par exemple qui s’avèrent aujourd’hui des personnages historiques, Dayot leur a ôté toute dimension politique et militante pour en faire tout juste un « bon patriarche » inoffensif pour le premier, et pour le second un vieux « coquin » modéré. Aux yeux de l’auteur, ils accréditent une thèse chère à la société bourbonnaise raciste et esclavagiste : si les marons se contentaient de vivre dans les cirques sans jamais descendre sur le littoral et tout territoire nouvellement colonisé par les blancs, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Quelles traditions existait-il à propos des marons du temps de Dayot, surtout auprès de la population d’origine servile?

On se doute qu’il y avait dans ces temps des traditions, peut-être essentiellement orales qui faisaient revivre les temps anciens. Les domestiques afro-malgaches des familles blanches devaient contribuer à entretenir dans la mémoire ces « histoires » effrayantes et fascinantes.

Quels récits accompagnaient la vue imposante sur les pitons de l’île ? Il est frustrant de ne pas connaitre les sources de Dayot. Qu’a-t-il puisé dans une tradition certainement encore vivace à son époque de l’existence d’Anchain et de Pitre ? Qu’en disait-on alors ?

En tout cas, l’auteur s’est basé sur des traditions bien ancrées qu’il nous est impossible aujourd’hui de savoir et d’évaluer. Et nous lui sommes redevables de les avoir rapportées. Maintenant il faut procéder à une critique impartiale de cette œuvre puissante mais ambigüe.
Si aujourd’hui quelques éléments de ce roman représentent une chance inouïe de lier légende et Histoire, c’est parce que les recherches actuellement plus complètes ont permis de relier des liens ténus qui ne demandent qu’à être explorés et approfondis.

Cependant au-delà de toute critique, il faut rendre à Dayot ce qui lui est propre, il a donné à voir, à imaginer à la manière d’une épopée ces périodes troubles que l’Histoire a longtemps ignorées et même occultées. Avec ces limites dont il faut tenir compte, Bourbon Pittoresque a nourri longtemps l’imaginaire de tout un peuple, avide du récit des temps anciens.


Charlotte Rabesahala

Eugène DAYOT, Bourbon Pittoresque sorti en feuilleton in Le Courrier de St-Paul à partir de 1844. Rééd présentée et annotée par J. Lougnon. Saint-Denis, Imprimerie de Croix-Sud, 1966.